La future loi de santé publique : l’opportunité d’impulser une nouvelle politique, plus volontariste, pour la prévention santé ? Gérard Bapt
Palais-Bourbon – Salle Colbert – 28 novembre 2013
Le premier handicap de toute politique de santé publique concerne la crédibilité de la parole publique, de la parole des autorités sanitaires. Ceux qui ont le plus de crédibilité sont d’après les sondages le médecin de famille et le pharmacien de proximité. Celui qui arrive en dernier, c’est le ministre ou la ministre.
L’efficacité de l’action sur le terrain est une réalité.
Je ne suis plus Maire, mais adjoint, parce que j’ai laissé ma place à ma première adjointe, selon la règle anti-cumul. Ma commune avait participé à l’action dite EPODE, expérimentation de la prévention de l’obésité juvénile. Dans cette commune d’à peine plus de 10 000 habitants, les résultats avaient été extraordinaires. Nous avons regroupé la journée mondiale de l’obésité et la journée mondiale du sport, et proposé des activités intergénérationnelles. L’action EPODE, c’est-à-dire l’accompagnement à l’éducation nutritionnelle, a permis une continuité. Le centre social offre des lunchs, ou des goûters étiquetés EPODE, qui consistent en des fruits et légumes bios. Nous avons aussi une action avec INTERFEL fruits et légumes, et tous les trimestres, une animation sur le marché propose des aliments naturels de saison et sains, en essayant d’être bios.
Ce sont des actions sur le terrain et je pense que c’est le plus efficace. J’ai noté l’idée d’indiquer les distances en temps. C’est le type d’action qui peut passer.
Aujourd’hui, on va développer dans le cadre régional les pactes territoriaux et les plans territorialisés de santé sur les bassins de vie dans le cadre des contrats locaux de santé. Il y aura non seulement les soignants, mais aussi les élus et les associations. Ce serait bien d’y mettre un volet sport – santé.
Je vais sortir de l’échelon local, pour en venir à la question de l’action législative proprement dite. Elle a ses mérites. Je suis à l’initiative de la loi qui a conduit à interdire les biberons au bisphénol. J’espère qu’à partir du 1er janvier 2015, l’ensemble des emballages alimentaires contenant du bisphénol seront interdits. On sait que c’est un produit d’origine chimique qui influe sur un certain nombre de déterminants, notamment dans le cadre de l’obésité et du diabète. Sans doute aussi du cancer.
Une proposition de loi vient de passer au Sénat, on devrait aller vers une utilisation zéro des pesticides. L’échelon législatif se heurte à un obstacle énorme : les intérêts économiques, les lobbies. Mais il est aussi vrai qu’il faut, étant donné les problèmes de l’emploi, savoir composer, savoir essayer d’avancer en partenariat. Même si je vois bien les limites du partenariat dans ces fameuses chartes. On dit qu’on a fait du progrès sur le sel, le sucre, les corps gras. On s’est quand même surtout contenté de faire des chartes.
Lors de la discussion autour de la loi de santé publique on se disait que, plutôt que de faire de la réglementation, il valait mieux que cela naisse des compromis avec les acteurs eux-mêmes. Nous avions donc fait une charte. C’était du donnant donnant, vous échappiez à une taxe si vous inscriviez « mangez, bougez » sous votre publicité, en bandeau. Nous en voyons maintenant les limites, très certainement.
Le fait qu’une seconde charte soit en train d’être négociée a peut-être un lien avec l’annonce pour 2014 d’une nouvelle loi de santé publique. Cela pourrait permettre de dire : « on vient de faire une nouvelle charte, attendons un peu avant de réglementer et d’interdire ».
Il y a une autre difficulté, c’est l’échelon européen. De nombreuses réglementations en dépendent. L’interdiction des contenants alimentaires pour toutes les générations, et notamment pour l’alimentation de la femme enceinte et de la petite enfance ou de l’adolescence au moment de la puberté, doit prendre effet au 1er janvier 2015, mais je ne me fais pas d’illusion. Si d’ici là, on n’a pas gagné aussi au plan européen, comme ce fut le cas pour les biberons, il va être très difficile au plan national que des contenants alimentaires contenant du bisphénol soient arrêtés aux frontières. Si cela ne devient pas, dans un espace communautaire où il y a libre circulation des marchandises, une contrainte européenne, nous serons dans la situation de devoir reporter. Il nous faudra compter uniquement sur la pression des consommateurs sur le marketing et sur le fait que les industriels affichant dans les étiquettes la mention « sans bisphénol » feront concurrence aux autres.
Cet échelon européen est important. C’est notamment le cas pour les pesticides. Cet été, on a suspendu pour deux ans, mais uniquement pour certaines cultures, deux pesticides qui sont maintenant reconnus comme étant des facteurs majeurs de mortalité des abeilles. La proposition française n’a abouti qu’à l’interdiction du Cruiser, sur certaines cultures, et à certaines saisons, pour deux ans. Alors même que l’on sait que la durée de vie de ces substances dans la nature est plus longue !
L’échelon européen est aussi un obstacle en ce qui concerne la législation. Parfois, on a des succès. On vient de voter une loi interdisant que, dans les territoires d’outre-mer, notamment aux Antilles ou à La Réunion, on commercialise des produits sous le même étiquetage que dans l’hexagone alors qu’ils sont beaucoup plus riches en sucre, sous prétexte que cela répond au goût local, et alors que les taux d’obésité et de diabète sont explosifs aux Antilles et à La Réunion.
Là encore, lorsque la première proposition de loi était arrivée en discussion à l’assemblée, on avait dit qu’on allait plutôt passer par une charte. On sait très bien que quand il y a une véritable urgence de santé publique, comme l’explosion du diabète dans ces territoires, il faut passer par la législation.
Le député est celui qui vote les lois, certes, mais il est aussi médiateur, le facteur qui fait remonter les choses. Il peut être parfois lanceur ou au moins transmetteur d’alertes. J’ai essayé de le faire dans l’affaire du Médiator. J’essaie de le faire en ce moment pour les pesticides et les perturbateurs endocriniens. Mais les initiatives citoyennes et la pression de la société sont aussi importantes aujourd’hui que l’action que l’on peut avoir en essayant de faire bouger les textes des lois et des règlements. Encore faut-il que lorsque la loi est votée, elle soit traduite fidèlement dans les règlements et ensuite qu’elle soit appliquée. L’exemple de l’interdiction de vente de tabac aux mineurs citée plus haut est un bel exemple de non application d’une loi.
Nous sommes encore très en retard dans la prise en compte des inégalités environnementales de santé, qui se potentialisent d’ailleurs souvent avec les inégalités sociales de santé. Un géographe, le professeur Vigneron, a fait une étude sur la ligne B du RER. Il part de la Courneuve et arrive à Port-Royal, en ciblant la mortalité, la morbidité, le niveau universitaire, le niveau culturel, le niveau de revenus. Progressivement, en allant de La Courneuve à Port-Royal, vous voyez que toutes les courbes s’inversent. Les problèmes de prévention et de réduction des inégalités de santé passent aussi par des actions générales de la société, y compris les conditions d’habitat et les conditions de transport et de travail.
Par ailleurs, je pense que l’on veut trop faire du médecin généraliste le pivot de toute la prévention médicale, alors qu’il est complètement débordé. Dans ma commune, on faisait tous les trimestres une soirée d’information pour les parents d’élèves autour de l’action EPODE, prévention de l’obésité juvénile. Nous invitions systématiquement les médecins, mais ils ne venaient jamais, parce qu’ils sont débordés et fatigués. Il faut une réorganisation de ce qu’on appelle la médecine de premier recours. Libérer du temps médical, qui devient rare dans certains territoires.
Je souhaite que cette loi santé publique arrive au moins en première lecture à l’Assemblée nationale pour 2014.
RETOUR EN HAUT DE PAGE
voir tous les articles de la catégorie