La future loi de santé publique : l’opportunité d’impulser une nouvelle politique, pour la prévention santé ? Dr Dominique Bonte
Palais-Bourbon – Salle Colbert – 28 novembre 2013
Je représente ici le Centre de prévention et d’éducation pour la santé de l’Institut Pasteur de Lille. C’est une branche de la santé publique développée à l’Institut Pasteur de Lille, où il y a deux pôles d’activité. Un pôle vaccination, conseil médical aux voyageurs, et un pôle santé. Dans ce pôle santé, les deux tiers de l’activité sont réservés au centre d’examen de santé des CPAM. Quand on pense examen de santé de CPAM, on pense dépistage, etc., mais cela a énormément évolué depuis des années.
Le titre de mon intervention pourrait être : créer une dynamique de prévention à partir d’un centre d’examen de santé. Nous avons beaucoup parlé de stratégie, de programmes, de définitions, d’actions, de recommandations, de solutions, d’individus, de plaisir, de projets…
Nous sommes ici au carrefour entre ces deux pôles, entre d’une part les décideurs, qui doivent faire des lois, des programmes, et d’autre part l’individu. Comme le disait Paul Ricœur, il faut toujours s’interroger sur le sens de ce que l’on fait. Peut-on dire qu’une loi change les comportements ? Peut-on dire qu’une action éducative change les comportements ? Peut-on dire que le soignant change les comportements d’une personne ? Non, bien sûr. C’est la coordination de l’ensemble des acteurs qui permet de trouver des terrains d’entente et de progression. Une pratique de trente ans me l’a démontré. C’est de la symbiose que naît l’action et certainement pas en restant dans son secteur. S’ouvrir aux autres. C’est un peu l’histoire de l’amibe qui se clonait. Quand elle s’est diversifiée, la vie est née. Les êtres qui étaient le plus en capacité de se mettre en symbiose ont résisté. Je pense que pour les structures de prévention, c’est exactement la même chose. J’ai le sentiment que si on veut aller vers une politique de santé publique efficace, il faudrait pouvoir évaluer la capacité de symbiose des structures et l’impact sur la population d’actions de prévention coordonnées.
Qu’est-ce qu’un centre d’examen de santé ? Il y en a beaucoup en France. C’est un dispositif sur lequel on peut s’appuyer de plus en plus. Les centres d’examen de santé ont été créés en 1945. Tous les cinq ans, l’ensemble des assurés sociaux pouvaient bénéficier d’un bilan de santé. A partir de 1992, on a ciblé les populations, en s’adressant à celles qui ne bénéficiaient pas de la médecine du travail, de la médecine scolaire, etc.
Les objectifs des centres d’examen de santé sont définis par la convention d’objectifs et de gestion entre l’Etat et l’Assurance maladie. Une nouvelle convention va arriver. Le texte rentre tout à fait dans les objectifs de l’Assurance maladie.
Le premier objectif est de réduire les inégalités de santé. Ce n’est pas faire un service pour les pauvres, c’est donner accès à tous à un service de droits pour tous. C’est très important.
Le second, c’est d’aider les assurés à être acteurs de leur santé. On est encore dans la politique, dans les mots.
Pour décliner cela il va falloir cibler un peu les invitations pour ceux qui viendront passer un bilan de santé, et prendre en charge leur santé. Il va falloir aussi associer une information sur l’accès aux soins, parce que beaucoup de personnes ignorent au fond leurs droits, ou s’ils les connaissent ils ne savent pas forcément comment accéder aux soins. Il faut lever les peurs, les freins, etc.
Et aussi diversifier l’activité en offre de services au médecin traitant, c’est-à-dire faire des approches collectives d’éducation santé et d’éducation thérapeutique. Le généraliste a un rôle fondamental en éducation auprès de son patient, mais il s’agit d’une approche individuelle. Des approches collectives, où les gens peuvent échanger entre eux sur leurs représentations, leurs freins, se situer par rapport aux autres, etc. sont développées dans les centres d’examen de santé.
Enfin, participer à des études nationales. C’est capital.
Tout cela, à budget constant. Cela veut dire qu’il faut que l’on augmente notre efficience, notre créativité, que nous soyons astucieux.
Le score EPICES évalue le score de la précarité et de l’inégalité devant la santé à partir des données recueillies dans les centres d’examen de santé. Les questions suivantes ne semblent pas médicales ! Rencontrez-vous parfois un travailleur social ? Avez-vous une assurance maladie complémentaire ? Vivez-vous en couple ? Vivez-vous seul ? L’isolement a des répercussions importantes sur la santé. Etes-vous propriétaire de votre logement ? Faites-vous du sport ? Allez-vous au cinéma ? etc. Onze questions sont ainsi posées. Les indicateurs de santé des personnes dont le score dépasse trente points prennent une tangente défavorable. Ce sont celles qui fument le plus, ne se sentent jamais en forme, consomment le plus de médicaments, ont plus de diabète, sont plus grosses pour les femmes, pas forcément pour les hommes, etc.
Dans les centres d’examen de santé, nous essayons d’accueillir les personnes les plus sensibles. On fait appel à des facteurs psychosociaux, et pas simplement à des facteurs de santé ou de ressources. On peut très bien être vulnérable, même en ayant des ressources financières !
A Lille, nous accueillons environ 15 000 personnes par an au centre d’examens de santé. Pour ouvrir cette prestation à une très large population, nous avons dû entrer en relation avec l’ensemble de l’écosystème médico-social du territoire, et avec beaucoup de partenaires associatifs. La médecine du travail, par exemple, qui avait besoin de supports. Nous avons pu aller à leur devant et orienter des travailleurs dits pauvres vers les examens de santé afin de les faire bénéficier d’un diagnostic de prévention santé.
Nous avons des partenariats avec des structures d’hébergement social, des établissements scolaires et universitaires, des missions locales, des centres de formation. Cela veut dire que l’on doit tisser au niveau de la région une espèce de canevas avec les compétences de chacun, au service de la personne.
Par rapport au score EPICES, nous avons en 2008 accueilli environ 3 % de personne en situation de vulnérabilité. Nous en sommes maintenant à environ 50 %. C’est un service pour tous. Chacun est écouté de la même façon.
Une observation est parue en 2011. On a vu que six mois après un examen de santé, dans les populations en situation de vulnérabilité, 80 % avaient consulté leur médecin, 56 % avaient mis à jour leurs vaccinations, 45 % avaient réalisé des soins dentaires.
Forts de ça, que faisons-nous à l’occasion d’un bilan de santé ? Dans le temps, on faisait du somatique, par exemple une prise de sang pour dépister le cholestérol, etc. Aujourd’hui, cette approche somatique est largement insuffisante.
Plusieurs diagnostics sont posés. Un diagnostic d’ordre social, qui n’est pas simplement basé sur les revenus. Un diagnostic d’ordre comportemental : les gens sont interrogés sur leur comportement par rapport à l’alimentation, au tabac, au sport, etc. Ils bénéficient de conseils minimaux. Un diagnostic environnemental. Un diagnostic de santé mentale.
L’état motivationnel de la personne est à prendre en compte. Par exemple : a -t-elle envie de s’occuper de son tabagisme maintenant ? Le soignant doit accepter qu’elle refuse… Si une femme enceinte dit qu’elle ne peut pas arrêter de fumer pour l’instant, il faut que l’on puisse entendre qu’elle ne puisse pas, à l’instant T, tout en l’informant bien des effets sur sa propre santé et sur celle de l’enfant. Le tabac peut être simplement diminué, et il faut l’accompagner dans la diminution pour que cela soit le moins toxique possible pour son enfant. C’est là une approche extrêmement empathique, constructive ; soignant et soigné mettant chacun à leur tour une petite pierre à l’édifice.
Aller à la rencontre de la personne. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, parce que lorsque l’on invite les personnes qui sont un peu vulnérables, on se rend compte que beaucoup ne s’intéressent pas à leur santé.
Nous avons donc créé des dynamiques auprès des différentes institutions régionales, pour intervenir par exemple auprès de structures caritatives. Le Conseil général et la CPAM ont ciblé les requêtes et mis en place des bilans de santé délocalisés pour les personnes en situation de vulnérabilité qui ont souvent du mal à se déplacer. Cela entraîne des frais auxquels on ne pense pas. Nous avons organisé une antenne mobile, puis des équipes mobiles. Nous avons contacté des élus.
L’ARS va financer un dépistage à minima. La seule solution n’est pas l’examen de santé. Si une personne est bien suivie par son médecin traitant, c’est formidable, elle n’a pas forcément besoin d’un examen de santé !
Quelques chiffres : nous recevons environ 50 % de femmes, 50 % d’hommes. Ce sont surtout des 16 – 59 ans. Nous dépistons, dans la population que nous recevons, environ 29 % de fumeurs, 34 % de sédentaires, 45 % de personnes ayant une IMC supérieure à 25,5 % chez lesquels on découvre une hypertension et 2 % chez lesquels on découvre un diabète.
Comment orienter ensuite vers le médecin traitant ? Comment démythifier toutes les approches santé ? On dirige les personnes concernées soit vers des dispositifs de la ville, soit vers des approches collectives proposées dans le centre d’examen de santé. Il s’agit d’accompagnements individuels, mais surtout collectifs, concernant différentes thématiques, par exemple l’éducation nutritionnelle, les conduites addictives, l’aide à la gestion des boissons alcoolisées pour les non alcoolo-dépendants. On envoie aussi vers des structures spécifiques, bien évidemment : consultations médico-sportives, séances collectives de reprise de l’activité physique.
Ce qui incite les gens à adhérer à ces programmes, c’est qu’ils sont en groupe. C’est le lien social. Le nombre de participants aux ateliers est d’environ 600 à 700 par an.
L’approche que nous avons eue au niveau de Lille s’articule avec des programmes nationaux qui se développent dans tous les centres d’examen de santé, et concernent l’éducation santé, l’éducation thérapeutique du diabétique. Cela se fait en lien avec les relais locaux. Ce n’est pas du tout en concurrence avec les structures déjà en place sur le territoire.
Nous participons aussi à des études. Une étude Constance a été mise en place au niveau national. Cela va être une cohorte généraliste de 200 000 personnes. Cette étude va permettre d’analyser à la fois les facteurs qui déterminent le fait que les personnes prennent en charge ou non leur santé, et les facteurs prédictifs en fonction des comportements.
Il faut être attractif pour que les personnes poussent la porte des centres d’examen de santé, puis se prennent en charge. Les projets politiques de prévention s’empilent, et sont plutôt en tuyaux d’orgue. Je crois vraiment que la symbiose sera la solution si nous voulons les voir aboutir.
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