La transition alimentaire est-elle inéluctable ?
L’histoire alimentaire n’est jamais figée. Ce qui différencie la période moderne des autres périodes, c’est la rapidité des transformations notamment dans les pays en voie de développement.
Dans les pays développés, les régimes alimentaires traditionnels, principalement basés sur la consommation de céréales, de tubercules et de légumes ont connu une évolution importante au cours du 20e siècle.
En lien avec le développement économique, ces régimes ont muté au fur et à mesure de l’augmentation des revenus vers un modèle d’alimentation qualifiée d’Occidental, riche en graisses saturées, en sucre et en aliments raffinés mais pauvres en fibres et en micronutriments.
Dans un premier temps, la transition alimentaire a des effets bénéfiques sur la santé car la nourriture est plus variée et plus riche en protéines mais rapidement elle entraîne la suralimentation, c’est-à-dire l’excès calorique avec trop de graisses et de sucres.
Les pays en voie de développement n’échappent pas à ces tendances et cumulent les situations de surconsommation et de sous-consommation : c’est ce que l’on appelle la double-charge. En Chine, par exemple, il y a 121 millions de personnes sous-alimentées mais aussi 200 millions de Chinois en surcharge pondérale et 90 millions d’obèses.
Quelles évolutions peut-on observer ?
Le monde dans son ensemble a amorcé une transition alimentaire qui se manifeste par une quasi-stagnation de la consommation de céréales (+15%), une hausse relativement modérée du sucre (+24%) et des produits laitiers (+17%) accompagnés d’une hausse importante des fruits et légumes (+85%), des viandes (+72%), des huiles et graisses (+53%), des boissons alcoolisées (+41%) et un recul sensible des légumineuses (-32%).
Cette évolution a tendance à s’uniformiser au niveau planétaire en lien avec les modes de vie
– L’urbanisation
– Le travail féminin
– L’essor de la grande distribution (un exemple ; en Chine, le nombre de supermarchés a augmenté de 150% entre 1999 et 2005)
– La communication : en 2010, les annonceurs ont investi près de 70 milliards de dollars de publicité dans le monde.
Dans ce contexte, on observe une hausse significative de la consommation de produits animaux, symboles du développement. En Afrique et Méditerranée, la progression est modeste par défaut d’accessibilité pour des raisons de crises économiques et sociales. C’est en Asie que la croissance de la demande est la plus prononcée.
Quelles sont les conséquences de ces changements alimentaires ?
Si toute l’humanité devait consommer aujourd’hui comme les Américains, il faudrait 4 terres pour subvenir à nos besoins, 2,5 planètes seraient nécessaires dans le cas français et 1 si le modèle chinois actuel était généralisé (Global Foot Print 2012).
Peu de pays disposent de réserves de terres. La surface cultivable a plutôt tendance à diminuer en raison de la désertification des terres dans les régions semi-arides comme en Chine ou en Afrique sahélienne ou en raison du grignotage des terres agricoles par l’urbanisation.
De plus, depuis les années 2000, certains Etats, directement ou par l’intermédiaire de sociétés privées achètent ou louent d’immenses surfaces pour y pratiquer des cultures vivrières, notamment des aliments pour animaux. On parle de spoliation des terres.
Selon un rapport d’Olivier de Schutter, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de l’ONU, entre 15 et 20 millions d’hectares de terres agricoles de pays en développement on fait l’objet de transactions et de négociations avec des investisseurs étrangers depuis 2006.
Au-delà de la lutte pour les terres cultivables, on peut aussi parler de la lutte pour l’accès à l’eau potable.
La transition alimentaire est-elle inéluctable ?
Pour l’avenir, 3 options se dessinent :
- 1. Les pays développés mutent vers le développement durable ce qui va se traduire par toujours moins de produits animaux, sous l’influence des changements de paradigmes sociétaux.
- 2. Les pays en développement brûlent les étapes pour imiter les pays développés de demain, auquel cas les contraintes sur les ressources seront moins fortes que prévues
- 3. Les pays en développement poursuivent leur transition alimentaire en augmentant la consommation de produits animaux au même rythme qu’aujourd’hui. La concurrence internationale sur les terres, l’eau, les gènes, les savoirs va être exacerbée et les conflits vont s’amplifier.
A court terme, l’option la plus probable reste la troisième avec des pays en voie de développement qui continuent sur leur lancée d’une forte demande de produits animaux. Après, tout dépendra des politiques agricoles et alimentaires mises en œuvre dans les différents pays mais aussi des conditions économiques et des réglementations écologiques internationales qui pourront donner une inflexion.
Article réalisé à partir de l’intervention de Martine Padilla, Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier/UMR Moisa, lors des 15èmes Entretiens de Nutrition de l’Institut Pasteur de Lille.
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