Impact des habitudes de vie sur la santé – Évelyne Baillon-Javon
Palais du Luxembourg – Salle Monnerville – 19 septembre 2012
Il est toujours difficile d’intervenir en dernier, parce qu’il y a des tas de choses qu’on avait prévu de dire, que les autres ont déjà dites, et d’autre part, il faut faire court. Je vais donc essayer de relever ce défi. J’ai éprouvé le besoin, en introduction de mon propos, de vous resituer les concepts et les principes sur lesquels l’agence régionale d’Île-de-France (ARS) a basé la construction de son schéma de prévention. Je vais forcément avoir un discours un peu plus institutionnel que nombre d’interventions qui ont eu lieu jusqu’à maintenant.
Le cadre de pensée sur lequel nous nous sommes appuyés est celui de notre bible en matière de santé publique et de promotion de la santé qui est la charte d’Ottawa. Bien que datant de 1986, elle reste notre base. Elle définit la promotion de la santé comme un processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. C’est donc une démarche qui donne une vision plus globale et positive de la santé, qui est basée sur la notion de bien-être, de qualité de vie et non sur la notion de risque et de pathologie. Elle s’appuie sur une stratégie d’action, sur les déterminants qui sont individuels, c’est vrai, mais aussi sociaux et environnementaux. Elle implique dans sa construction, dans toutes ses démarches, la participation des individus et des populations aux actions qui les concernent. Elle a l’ambition de faciliter aussi l’adoption de politiques publiques saines, et c’est peut-être là qu’il y a des choses à repréciser. Chacun a développé son schéma sur les déterminants de santé. Personnellement, j’aime bien celui-ci qui représente l’ensemble des déterminants et montre toute la complexité. Je vais l’illustrer par un exemple.
Vous prenez une famille qui habite dans un logement insalubre, en surpopulation, dans un territoire, un quartier en difficulté, qui a des problèmes financiers, qui n’a comme accès à l’alimentation que le supermarché du coin qui offre des produits pas chers, mais avec des taux de lipides plus importants que les autres. Qui n’a pas dans son territoire d’infrastructures sportives, ou s’il y en a, n’a pas les moyens d’inscrire ses enfants au dit club. Cette famille-là n’aura donc pas les moyens humains et matériels de mettre en œuvre tous les conseils, même avec toute la bonne volonté du monde.
Le premier point d’appui pour construire notre schéma de prévention à l’ARS était d’agir sur les politiques publiques.
En effet, ce sont ces politiques publiques et la cohésion sociale qui peuvent améliorer les conditions économiques ; les communes vont par exemple repenser leurs infrastructures sportives. Ces améliorations auront un effet sur les déterminants sociaux et environnementaux, sur l’organisation et la valorisation éventuelle des pratiques préventives des professionnels de santé. C’est un premier point et un premier chapitre important dans notre schéma de prévention.
Le deuxième point d’appui de cette prévention, c’est évidemment les professionnels de santé, avec tout leur rôle d’éducation pour la santé et d’éducation thérapeutique. Je voudrais vous parler rapidement de « la santé communautaire », dans son acception québécoise. Ce n’est pas une communauté culturelle ou populationnelle, c’est une communauté plus territoriale, établie sur une base collective qui fait travailler ensemble les habitants, les professionnels, les institutionnels, pour avoir un diagnostic partagé, un repérage commun en échangeant sur les besoins et les ressources du territoire en question. C’est donc la participation de tous, chacun dans son domaine, à l’élaboration et au pilotage des projets qui vont répondre aux besoins qui auront été identifiés. Tout cela vise au renforcement des ressources personnelles des usagers, pour augmenter leur capacité à agir sur leur santé individuelle et à participer à des projets collectifs. Les Québécois, qui sont très en avance sur le sujet, m’ont montré, au cours d’un de mes voyages au Québec, une action qui avait été extrêmement efficace, sur un territoire totalement défavorisé. Quand ils se sont tous mis autour de la table de concertation, ils ont changé les caractéristiques du territoire, et leur santé s’est améliorée.
Les principes sont donc la participation de tous, la pluridisciplinarité, la pluri-sectorialité et le partage de savoirs et de pouvoirs. Je vais revenir sur ce point. C’est à partir de ces concepts que l’éducation pour la santé prend sa place. Que vise l’éducation pour la santé ? Elle vise l’accroissement des connaissances, le développement d’aptitudes personnelles qui influencent la santé. Elle utilise une des méthodes qui favorisent la participation. Je n’aime pas beaucoup les mots anglais, mais l’« empowerment », même les Québécois ont du mal à trouver une traduction en bon français. On parle d’appropriation du pouvoir, d’être acteur de soi, d’autonomisation.
L’« empowerment » repose sur une négociation avec les personnes concernées et non sur la base d’un diagnostic professionnel, d’une expertise professionnelle. À notre avis, c’est un vrai changement de paradigme, parce que c’est la fin de la toute-puissance de l’expertise professionnelle. C’est la construction d’une nouvelle relation entre le patient et le soignant qui est fondée sur l’écoute et sur une participation active du patient.
Pour le développement de ces pratiques préventives intégrées aux soins, il faut avoir à l’esprit quelques éléments du contexte national. Nous sommes dans une phase de transition sur le plan épidémiologique, puisque nous avons une augmentation de la prévalence des maladies chroniques, un vieillissement de la population. Cela entraîne des prises en charge plus complexes qui requièrent de réorganiser les réponses. Nous avons par ailleurs des attentes majeures de la part des usagers, et au niveau de l’ARS, nous le ressentons fortement dans les instances de démocratie sanitaire, conférence régionale, les différentes commissions, etc. Les exigences des usagers sont de plus en plus fortes en matière d’information sur l’accès à la santé.
Ils souhaitent que ces informations soient plus fluides, plus sécurisées, mieux adaptées. Ces attentes demandent une réponse réactive et transparente.
Nous avons aussi des contraintes économiques de plus en plus fortes, avec des dépenses de santé qui s’accroissent avec la technicité de la médecine et le vieillissement de la population.
L’équilibre de la solidarité nationale est de plus en plus fragile.
Cela suppose une restructuration de l’offre de santé avec un basculement progressif, si possible, des soins vers la prévention. Comment intégrer la prévention dans les pratiques cliniques des professionnels ?
Le médecin a légitimité pour prodiguer des conseils de prévention. Nous l’avons dit, 85 % des assurés ont un médecin traitant qu’ils voient en moyenne quatre fois par an. C’est un généraliste dans 99 % des cas, donc c’est effectivement l’acteur essentiel de la prévention médicalisée.
Plusieurs études montrent que lorsque le médecin parle, il est écouté. Prenons l’exemple de la réalisation du dépistage colorectal : si le test est remis par le médecin, il sera réalisé dans 85 % des cas ; s’il est simplement envoyé par envoi postal, il le sera dans seulement 15 % des cas. Le vaccin antigrippal, s’il est recommandé par le médecin, sera fait par 60 % des assurés, si le médecin n’en parle pas, il n’est pratiquement pas réalisé.
Comment développer une culture commune de santé publique ? Il y a une tendance à penser que le soin, même préventif, peut tout réaliser. Il faut donc bien comprendre que même les soins préventifs, ce n’est pas tout. Les déterminants dont nous avons parlé plusieurs fois et que j’ai soulignés influencent très fortement les comportements et les possibilités de changer de comportement. Cela relativise donc l’impact possible des conseils qui peuvent être délivrés pour adopter de saines habitudes de vie. Le médecin, dans son cabinet, devra être en capacité de découvrir en parlant avec son patient le milieu dans lequel vit ce dernier. Il pourra alors interagir et délivrer des conseils prenant en compte ce milieu de vie et ses contraintes.
Comment susciter un changement d’approche chez les professionnels ? Actuellement, la relation médecin-patient est encore souvent une relation d’inégalité entre le sachant, l’expert qui sait ce que vous avez, ce qui est bon pour vous, et l’ignorant. Des deux côtés, il y a un besoin de changement de posture. Beaucoup de patients font un complexe d’infériorité par rapport à leur médecin et n’osent pas poser de questions, s’exprimer. Il y a vraiment une évolution à faire.
Il faut équilibrer les savoirs et les pouvoirs, les praticiens doivent développer leur capacité d’écoute. Voici une liste non exhaustive de thèmes que le médecin devrait aborder en consultation. Ce sont les thèmes prioritaires, tous ceux qui sont liés au bien vieillir. Ce matin, nous avons beaucoup parlé de l’équilibre alimentaire, l’activité physique, l’hygiène bucco-dentaire, les dépistages, les vaccinations, les situations particulières… Il est difficile, lors d’une consultation, de penser à tout.
Le cas particulier de l’éducation thérapeutique comporte deux niveaux. Un premier niveau qui est celui complètement intégré de soins de premier recours, qui concerne absolument tous les malades chroniques. C’est l’intention éducative qu’il doit y avoir dans tout soin et elle est ancrée dans cette relation soignant/soigné dont je viens de parler. Puis il y a le deuxième niveau, celui qui est basé sur le respect du cahier des charges de la HAS et l’autorisation de l’ARS, qui concerne des situations plus complexes ou des populations spécifiques. Là aussi, le rôle du médecin traitant est très important, et actuellement insuffisamment développé. Il doit orienter vers les programmes existants, accompagner pendant la durée du programme pour éviter les abandons encore beaucoup trop nombreux. Enfin, surveiller les suites pour éviter le découragement dans la durée.
Cela suppose pour les médecins traitants de la formation, mais aussi des informations sur les dispositifs existants. Pour terminer, les freins et les leviers. Il n’y a pas de valorisation actuelle de la prévention, même si on est dans une évolution très timide, avec un dispositif de paiement à la performance dans la convention médicale qui inclut des volets prévention, mais c’est très faible. Le frein, c’est aussi le temps à consacrer à l’éducation du patient en sus du motif initial de la consultation. C’est bien sûr lié à la valorisation. La difficulté aussi à penser à tout. Il faut avoir en tête : « J’ai telle personne, il faut que je lui parle de son hygiène de vie, des vaccins qu’elle devrait faire s’ils ne sont pas à jour, des dépistages auxquels elle a droit compte tenu de son âge, etc. »
On ne peut donc pas vraiment parler de consultation de prévention. Il s’agit plutôt d’intégrer une partie prévention dans la consultation habituelle. C’est un projet commun, car nous étions encore il y a peu dans la construction de notre schéma.
Nous allons travailler avec l’URPS (Union régionale des professionnels de santé) et la HAS. Pour souligner le besoin d’outiller les professionnels, j’évoque le guide dont François, Baudier a parlé. Un guide qui regrouperait les différentes recommandations, parce qu’il faut les ordonner. Il faudrait aussi intégrer un système de rappel automatique des personnes en travaillant avec les logiciels médicaux. Cela permettrait de rappeler par exemple aux femmes qui viennent d’avoir 50 ans qu’elles ont droit au dépistage organisé du cancer du sein, etc.
Il faut outiller, faciliter la vie des médecins. Je n’insiste pas sur les protocoles de coopération, puisque cela a déjà été évoqué. Nous avons déjà commencé à prendre des contacts avec les universités franciliennes pour intégrer dans la formation initiale, la formation à l’ETP (éducation thérapeutique du patient), et en particulier à la relation soignant/soigné. En matière de formation continue, il y a aussi beaucoup à faire.
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