Impact des habitudes de vie sur la santé – Jean-Michel Oppert
Palais du Luxembourg – Salle Monnerville – 19 septembre 2012
Laissez-moi d’abord remercier les organisateurs qui m’ont proposé de vous brosser une vue un peu générale sur les habitudes de vie en relation avec la santé, et principalement l’activité physique et l’alimentation.
Comme l’a dit le docteur Lecerf, je travaille dans le service de nutrition de la Pitié, dirigé par le professeur Arnaud Basdevant.
Notre spécialité médicale est le suivi de patients obèses. Nous leur proposons des modifications de leur mode de vie, mais aussi d’autres techniques comme la chirurgie bariatrique. Les activités de recherche sont développées dans le cadre du centre de recherche en nutrition humaine Île-de-France, et dans le cadre de l’institut hospitalo-universitaire – ICAN (Institut de cardiométabolisme et nutrition) qui a été créé l’année dernière dans le cadre d’un appel d’offres pour les investissements d’avenir.
Mes activités de recherche sont centrées sur l’influence des comportements sur la santé, et en particulier sur le rôle joué par l’activité physique. Nous étudions également l’influence de l’environnement.
Les habitudes de vie ont un impact majeur sur la santé. C’est ce que nous pouvons voir avec les données de l’OMS pour la mortalité en 2004. Les principaux contributeurs de la mortalité dans le monde (58 millions de décès pour l’année 2004) sont d’abord l’augmentation de la pression artérielle, le tabagisme, l’hyperglycémie et le diabète, l’inactivité physique, le surpoids et l’obésité. L’inactivité physique joue un rôle important, quel que soit le niveau de vie des pays.
Il est important de considérer l’addition des facteurs de risque en termes d’impact sur la santé. Dans une étude épidémiologique anglaise sur un échantillon de grande taille, qui a été suivi pendant plus de dix ans, on voit l’impact sur la survie de l’absence ou de la présence d’un, deux, trois ou quatre des facteurs de risque que sont le tabac, l’inactivité physique, l’alcool et la consommation insuffisante de fruits et légumes.
Comme on peut s’y attendre, il y a une réduction de la mortalité ou un allongement de la survie en fonction de la baisse du nombre de facteurs de risque impliqués. Il y a donc un effet cumulatif des marqueurs des habitudes de vie sur la santé. Comme l’a évoqué le docteur Lecerf, les habitudes de vie vont impacter la santé dans le cadre d’interactions très complexes avec d’autres facteurs, à la fois environnementaux et individuels.
Dans un rapport publié au Royaume-Uni il y a quelques années, figure un schéma très complexe des déterminants qui influent sur la prise de poids. On peut identifier les groupes ou « blocs » de facteurs les plus importants que sont les influences sociétales, les influences de la biologie, l’alimentation, l’activité physique. Il est intéressant de noter que l’activité physique est identifiée à la fois sur le plan individuel mais aussi sur le plan environnemental. Les espaces de vie ou de résidence vont faciliter ou limiter l’activité physique des personnes.
On peut évaluer l’activité physique sur un spectre allant de la sédentarité (typiquement, c’est la position assise, surtout devant un écran, un comportement de plus en plus répandu) à des activités physiques d’intensité croissante avec, à l’extrême, l’activité physique d’intensité élevée pratiquée régulièrement, ce qui correspond à la pratique d’un sport à haut niveau. Dans le cadre des actions de promotion de la santé, il y a un intérêt majeur actuellement pour les activités d’intensité modérée, sans doute les plus faciles à atteindre dans un premier temps pour le plus grand nombre.
Quel est l’impact majeur de l’activité physique sur la santé ? Un bénéfice qu’aucune procédure médicale, qu’aucun médicament ne peut remplacer. Si nous comparons des sujets actifs physiquement à des sujets moins actifs, il est établi que l’activité physique peut permettre une réduction de la mortalité d’environ 30 %, une réduction de la morbidité cardiovasculaire, première cause de mortalité, de 20 à 35 %, une réduction de la survenue du diabète de 60 %. C’est vraiment considérable !
Et aussi une diminution de la survenue de certains cancers, en particulier des cancers les plus fréquents (cancer du sein, cancer du côlon). Enfin une amélioration de la santé mentale et un effet sur le contrôle du poids, mais qui est moins bien quantifiable.
Bien évidemment les facteurs nutritionnels, au sens large, vont avoir un impact très important sur la survenue des cancers, car les risques augmentent avec la consommation d’alcool, avec l’obésité (qui est associée en particulier aux cancers du côlon et aux cancers hormono-dépendants chez la femme),avec la consommation de viande, l’excès de consommation de sel et de certains compléments alimentaires. À l’inverse, un risque diminué de cancer est observé avec la pratique d’activité physique et la consommation de fruits et légumes. On peut noter que la consommation de fruits et légumes a sans doute un rôle protecteur quantitativement moindre que l’activité physique.
Où se situe la France en termes de pratiques sportives parmi les pays de l’Union européenne ? Parmi les données de l’Eurobaromètre, on trouve une grande enquête réalisée dans les 27 pays membres de l’Union européenne. La France se situe à peu près dans la moyenne des réponses, puisqu’environ 13 % des sujets répondaient faire régulièrement un sport, 35 % assez régulièrement, 18 % rarement, et 34 % jamais. Notons quand même qu’elle est loin de la moyenne en pratique régulière par rapport aux pays nordiques, par exemple la Suède.
Où pratique-t-on l’activité physique ? C’est la question du contexte, une question étudiée en particulier par nos collègues géographes. Dans la même enquête Eurobaromètre, vous pouvez voir que 52 % des répondants ont indiqué qu’ils pratiquaient leur activité physique à l’extérieur, dans un parc, dans la nature, et un quart sur les trajets, ce qui amène donc à souligner l’importance de l’activité physique au cours des transports. Cette thématique est de plus en plus reconnue comme un sujet important en santé publique.
Comme on vient de le voir, les recommandations actuelles de santé publique en matière d’activité physique mettent l’accent sur l’activité d’intensité modérée. Ceci repose en grande partie sur cette courbe qu’on appelle courbe « dose réponse », entre l’activité physique et la santé, c’est-à-dire entre un volume d’activité physique et un bénéfice attendu pour la santé. De nombreuses données indiquent que l’allure de cette courbe est de type curvilinéaire, avec un effet majeur en termes de bénéfices sur la santé dans la première partie du graphe, c’est-à-dire quand on passe de l’inactivité à une activité physique au moins modérée.
Les effets de l’activité physique modérée sont variables en fonction des critères de santé retenus. Dans le cadre du diabète, avec la pratique de 2 heures et demie d’activité physique par semaine, c’est-à-dire 150 minutes, soit notre recommandation de 30 minutes par jour d’activité modérée, on va noter une amélioration.
Cette courbe est donc extrêmement importante en prévention, puisque c’est le socle sur lequel reposent nos recommandations d’activité physique pour la population. Les actions de prévention qui vont combiner un conseil individuel et une action sur l’entourage ou l’environnement sont parmi les plus efficaces. Il y a là un message très important pour la prévention : ne pas se centrer uniquement sur le conseil individuel, si bien fait soit-il, même dans le cadre d’actions d’éducation ou d’accompagnement thérapeutique, et prendre en compte les aspects contextuels.
Dans l’étude américaine Diabetes Prevention Program (DPP), 3 000 sujets ont été répartis dans trois groupes, de façon aléatoire. Un groupe « mode de vie », avec des conseils sur l’activité physique, l’alimentation et le contrôle du poids. Un groupe « metformine », avec prise d’un médicament hypoglycémiant et augmentant la sensibilité à l’insuline. Enfin un groupe placebo.
Après trois ans et demi d’étude, l’intervention a été stoppée par le comité de surveillance du fait de l’importance des effets observés dans le groupe « mode de vie ». Dans ce groupe, on a augmenté le temps d’activité physique et on a constaté une réduction de 60 % de la survenue de cas de diabète de type 2 chez ces sujets à risque. Il s’agit donc d’un effet réellement majeur.
Chez l’adolescent, de la même façon, en parallèle, il est démontré que certaines interventions sur le mode de vie peuvent avoir un effet majeur sur la santé. Dans le cas de la prévention du surpoids, nous bénéficions des données issues de l’étude ICAPS, une étude d’intervention centrée sur la promotion de l’activité physique et la réduction de la sédentarité.
Elle a été conduite par le professeur Chantal Simon, dans le Bas-Rhin. Environ 1 000 enfants, de huit collèges, ont été inclus dans cette étude. Ils ont été répartis, de façon aléatoire, en deux groupes de quatre collèges. Chacun de ces deux groupes comprenant des collèges « actions » et des collèges « témoins ». Les interventions dans les collèges « actions » portaient principalement sur l’activité physique et la sédentarité.
Elles étaient proposées librement et gratuitement aux enfants dans le cadre de l’école, mais en dehors du cursus académique. Chez les enfants qui n’étaient pas en surpoids à l’entrée dans l’étude, il y avait environ 10 % de nouveaux cas de surpoids dans le groupe témoin contre 4 % dans le groupe action, c’est-à-dire une réduction de près de 60 % du risque d’être en surpoids avec cette intervention, soit un effet absolument considérable sur la prévention de la survenue du surpoids chez l’adolescent.
Un autre document me paraît très important pour le sujet de notre journée. Il s’agit du rapport publié par l’OCDE en 2009, sur les habitudes de vie, en particulier la prévention de l’obésité. Ce rapport essayant de modéliser l’impact médical et l’impact médico-économique de ces habitudes.
Les résultats concernent les données portant sur les années de vie gagnées, en fonction de différents types d’interventions sur le mode de vie et l’environnement. Il peut s’agir de campagnes dans les médias, autour de la publicité alimentaire en particulier.
Les interventions qui semblent avoir le plus d’impact restent les conseils donnés par le médecin, en particulier quand ils sont couplés avec ceux d’un diététicien.
Les mesures réglementaires sont certainement très importantes aussi, comme données de modélisation. Si on regarde au cours du temps l’effet en termes d’années de vie gagnées sans incapacité, il est clair que les actions chez les enfants sont celles qui mettent le plus de temps à avoir un effet, à cause du déroulement de la vie. Encore une fois, il semble que se détachent les actions pilotées par un médecin et un conseiller en diététique. Cela étant dit, on doit vraiment se poser la question de la médicalisation de la prévention, et de la médicalisation du mode de vie. Je pense que ce serait une discussion intéressante.
Nous venons de publier une étude avec ma collègue Hélène Charreire qui est géographe de la santé. Elle a élaboré une typologie des quartiers en Île-de-France, en associant l’accessibilité aux espaces verts, aux pistes cyclables et à certains services de proximité. Puis elle a pu montrer que certains types de quartiers, caractérisés en fonction de cette typologie, étaient associés à une pratique plus importante de la marche et du vélo. Cela ouvre la prévention à d’autres acteurs qu’aux seuls médecins. La modification des habitudes de vie doit bien se concevoir non seulement en termes de responsabilité individuelle des citoyens, mais évidemment aussi en termes d’influence de notre environnement de vie et de ses normes sociales.
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