Loi de santé publique : peut-on politiquement décréter les changements ? Gérard Bapt
Palais Bourbon – Salle Colbert – 20 Novembre 2014
Je suis rapporteur du budget, des recettes et de l’équilibre des comptes.
Les recettes. On me dit qu’il manque des recettes. M. Barbier, mon confrère pharmacien, a expliqué lui aussi que l’on manque de moyens. Être rapporteur de l’équilibre des comptes, de comptes en permanence déséquilibrés, vous voyez un peu la difficulté de ma tâche !
Après avoir entendu des critiques sur le projet de loi de santé que j’ai trouvées un peu dures, je pense que des efforts sont à faire pour une meilleure organisation des soins, à la fois en ville, à l’hôpital, entre la ville et l’hôpital, et entre aussi l’hôpital et les établissements médico-sociaux.
Les efforts se heurtent chez nous à des problèmes culturels, n’est-ce pas, messieurs les membres de la Haute Autorité de santé ? Ils se heurtent à des problèmes qui sont de nature culturelle, qui remontent loin dans l’histoire de notre pays. La médecine libérale s’est construite en opposition aux officines de santé qui avaient été les premières structures réparties dans les provinces pour répondre aux besoins de santé de la population. Donc la médecine libérale, avec comme une sorte de sensibilité écorchée, s’est construite sur la notion d’individualisme. La liberté d’installation, de prescription, tout cela fait que nous sommes face à des structures et à des cultures qui sont extraordinairement difficiles à modifier, à infléchir.
Malgré tout, je vais quand même un peu défendre ce projet de loi. Son objectif est :
- de déplacer les préoccupations du curatif vers le préventif, donc d’associer l’ensemble des acteurs de santé aux actions de prévention ;
- de déplacer le curatif de l’hôpital vers la ville, pour répondre au défi des maladies chroniques.
Tout cela est bousculé par l’irruption du numérique, de l’e-santé,sur lequel nous avons pris des retards dans notre système. La prise en compte du parcours de santé de l’enfant mérite mieux, me semble-t‑il, que des critiques. Parce que dans le parcours de santé de l’enfant, associer tous les acteurs, y compris les collectivités locales – j’ai été l’un des maires qui ont participé à l’action de prévention de l’obésité juvénile –, peut mobiliser autour de la prévention de l’obésité et sur la prévention des addictions.
Ensuite, un certain nombre de mesures ponctuelles sont évoquées. L’article premier réaffirme le droit à la protection à la santé, la nécessité de réduire les inégalités sociales et les inégalités territoriales. Ce qui me semble manquer, ce sont tous les éléments qui concernent, en matière de maladie chronique, les facteurs environnementaux. Il se trouve que je suis le président du Comité de suivi du plan national santé environnementale – le deuxième vient de se terminer, le troisième va être présenté à la conférence environnementale le week-end prochain. À cet égard, je regrette que dans le titre I ne soit pas citée la question de cette épidémie de maladies chroniques, qui va bousculer nos systèmes de protection sociale. Une assemblée générale de l’ONU, réunie à l’initiative de l’OMS en septembre 2011, a conclu que face à la progression d’un certain nombre de maladies chroniques – je pense bien entendu au diabète et à ses dérivés, ainsi qu’à toutes les maladies en rapport avec la mauvaise qualité de l’air –, nos systèmes de protection sociale auront de la difficulté à être pérennes, si l’on ne prend pas en compte ces facteurs environnementaux.
À cet égard, le problème de la prévention primaire concernant les substances chimiques est passé sous silence. La France a été néanmoins un peu en avance pour l’une d’entre elles, le bisphénol. Mais on prend du retard dans la définition de la perturbation endocrinienne. Tant que l’on ne l’aura pas définie, on ne pourra pas proposer aux industriels de respecter certaines normes en matière de protection de la santé vis-à-vis des substances chimiques perturbatrices endocriniennes.
La ministre vient d’énumérer un plan national de réduction du tabagisme, qui a été salué comme particulièrement audacieux, me semble-t‑il. Il n’est pas juste de dire que l’on ne fait pas assez d’efforts concernant la lutte contre le tabagisme. Bien sûr, on pense au prix. Mais le problème du prix n’est pas traitable au plan européen par le fait que l’on n’arrive pas à avoir une harmonisation de la fiscalité sur le tabac. Une étude a été faite sur les cigarettes chez des étudiants de Toulouse : deux paquets de cigarettes sur trois viennent d’Andorre ou d’Espagne. Cela ne sert à rien d’augmenter le prix chez nous si l’on permet les importations sauvages et croissantes de tabac depuis les pays qui nous entourent et avec lesquels on n’arrive pas à harmoniser la fiscalité. Celle-ci trouve donc ses limites, car elle peut être contre-performante.
L’interministérialité pour agir en prévention : c’est vrai que cela n’apparaît pas tout à fait dans ce projet de loi, mais je pense que dans la discussion parlementaire, et pour cela j’en serai, il faudra les réintroduire. Il est bien clair que sans les ministres de la Santé, de l’Environnement, de la Recherche, de la Ville, des Sports, des Transports, de l’Agriculture, on aura de la difficulté à progresser. Je vous ai trouvé très dur, monsieur le président, en ce qui concerne l’étiquetage nutritionnel, peut-être avez-vous mieux à proposer ? Mais à l’heure actuelle, l’étiquetage nutritionnel, tel qu’il existe, est illisible. Sauf pour des connaisseurs qui ont des yeux exercés. Certains pays qui nous entourent ont fait des expériences d’étiquetage sur des classes de produits alimentaires particuliers, en donnant une valeur nutritionnelle. Parce que ce sont des pastilles colorées qui se distinguent par les couleurs, c’est immédiatement accessible. C’est promu par le président du programme national Nutrition Santé, le professeur Hercberg. Ce n’est peut-être pas une panacée, mais c’est malgré tout un progrès. Et j’entends bien que, même si on va manger trois pizzas étiquettes vertes, ce sera sans doute plus de calories qu’une seule pizza étiquette rouge. Ceci dit, si on a comparé et si on a les moyens d’acheter la verte, ça peut être meilleur que la rouge, et plus facile que de lire la composition de la répartition entre les différentes catégories de nutriments.
Que vous dire encore ? La santé est une lutte. En ce moment, personne n’est content de ce projet de loi. J’attends de vous que tout le monde concoure à ce que, quand il sera voté, tout le monde soit content.
Professeur Martine DUCLOS
Il est clair que nous sommes majoritairement d’accord sur l’idée qu’il faut déplacer le soin vers la prévention. Nous sommes quand même nombreux à travailler sur l’e-santé, la santé connectée. C’est l’avenir, cela nous permet de surveiller nos patients. Nous sommes tous concernés. Moi, je suis en Auvergne, dans les déserts médicaux, les petits villages ruraux éloignés de tout centre, c’est un moyen merveilleux de suivre nos patients. On nous parle de simplification administrative, on en entend parler partout et pourtant je suis hospitalo-universitaire, mais je passe beaucoup de temps à gérer des problèmes de papiers, à chercher des financements ! La loi promet virtuellement des avancées sur le travail pluridisciplinaire entre professionnels de santé mais dans le concret on reste sur notre faim. La loi est très positive dans ses bases, sauf qu’elle accouche d’une petite souris qui à mon avis, pour l’instant, est sans poil et mutée génétiquement !
Gérard BAPT
Tous les médecins se plaignent de tâches administratives trop prenantes. Les libéraux comme les hospitaliers. En ce moment à l’hôpital, il y a l’affaire de la FIDES (facturation individuelle des établissements de santé) qui leur imposerait de coder quotidiennement. Même la Fédération hospitalière de France réclame que cette obligation du codage ne soit pas introduite. Pourtant, cela se fait déjà dans le secteur privé. Là, bien entendu, il y a la rémunération tout de suite, puisque ce sont des médecins libéraux. Pourtant il est important que le patient, lorsqu’il sort de l’hôpital, sache ce que son hospitalisation a coûté à l’assurance maladie. Je préfère cela à la responsabilisation par l’instauration de franchises. Ensuite, il faut bien entendu des délégations et des transferts de compétences, des délégations de tâches. Mais vous savez que c’est extrêmement difficile à mettre en place. Et ne serait-ce que pour la question du renouvellement de lunettes, cela a duré des années. Qu’il y ait davantage d’infirmières cliniciennes, a priori j’y suis favorable et notamment dans les hôpitaux. Mais vous avez encore de larges secteurs de médecins qui sont totalement rétifs à cela. Y compris à la vaccination par le pharmacien, par la sage-femme. Ce sont des combats pied à pied.
Un indicateur qui est positif en France, c’est celui de l’espérance de vie. Il faut le nuancer en parlant d’espérance de vie de bonne qualité. Parce que cet indicateur-là commence à fléchir. Voilà pourquoi le sujet des maladies chroniques est primordial.
Sur les questions de pluridisciplinarité, cela bouge, et c’est par là notamment que passera une meilleure prise en charge de l’urgence de ville. Régulièrement seront créées des maisons de santé, d’exercice regroupé, pluridisciplinaire.
Alors, peut-on politiquement décréter les changements ? C’est très difficile de décréter politiquement un changement s’il n’est pas accompagné culturellement par la société. On critiquait tout à l’heure cette loi. On disait à la fois « il n’y en a pas assez », mais aussi « c’est un catalogue ». Ne trouvez-vous pas cela assez extraordinaire que l’on soit obligé de mettre un article de loi pour dire qu’un patient qui sort de l’hôpital soit accompagné d’un mot de sortie ? C’est ce qui va se faire. Les résultats d’études très précises faites sur l’hospitalisation sont effarants, ce qui conduit d’ailleurs à certaines ré-hospitalisations précoces et à l’engorgement des services d’urgence déjà par ailleurs surchargés.
Concernant le DMP, le dossier médical personnel, qui est devenu le dossier médical partagé, il a fallu attendre 2015 pour dire qu’il fallait l’arrêter et faire autre chose qui soit mieux adapté à l’usage que peuvent en faire les professionnels.
C’est un mouvement très lent, il faut entraîner et légiférer à la fois. C’est le défi avec cette loi, qui n’est pas une loi gravée dans le marbre puisqu’en principe la santé publique doit être réévaluée tous les cinq ans. La précédente a duré un peu plus de cinq ans, elle date de 2004.
Mme Bernadette LACLAIS
Je constate, peut-être parce que je suis plus récente dans les fonctions de parlementaire, que l’on voudrait tout, tout de suite. Et le phénomène s’accélère. Dès lors qu’une loi sort ou qu’une proposition est faite, il faut la matraquer. On critique, on considère que l’on est en retard dans beaucoup de domaines.
Je ne vais pas parler que de cette loi, mais du niveau scolaire de nos enfants. Chaque année, on recule. Et dès lors que l’on fait une proposition, il faut la matraquer, parce qu’elle n’est pas bonne. Elle ne plaît pas aux parents, aux enseignants, aux enfants, alors il faut la changer. Mais l’intérêt général, l’intérêt collectif, où est-il ? Sur cette loi, j’entends parfaitement toutes les critiques qui peuvent être faites. Je suis d’une génération où on ne parlait pas de contraception dans les lycées, et pourtant je ne suis pas très vieille. Je suis d’une génération où l’on ne parlait pas beaucoup de prévention, un peu sur le tabac, mais ça n’allait pas bien plus loin. Je trouve que l’on a franchi là, avec ce texte, une étape, rien qu’en mettant pour la première fois en débat ce sujet de la santé, y compris ici. Je ne trouve pas que ce soit complètement négligeable, comme avancée.
Le docteur Lecerf a dit qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser, de critiquer, qu’il fallait lutter contre l’obésité et non pas contre les obèses. Mais ce débat, dans notre société, il faut le porter. Quand on voit que certains pays, dans le cadre du recrutement pour l’emploi ou dans celui du transport des voyageurs, peuvent refuser telle ou telle personne sur ce critère-là, il faut en parler ! On est dans une société qui fait du bashing perpétuel. Je trouve que c’est dommage. On a un texte qui est ce qu’il est aujourd’hui. Peut-être a-t‑il des lacunes, sans doute, comme tous les textes qui arrivent à l’Assemblée nationale. Sait-on le porter collectivement ? Sait-on faire avancer cette cause ? Je le souhaite de tout coeur. Je vous l’ai dit ce matin, parce que je crois que ce n’est pas simplement le problème des professionnels, du législateur. C’est un projet de société. Sommes-nous capables de porter ce projet de société, qui est de faire en sorte que l’on vive tous, certes plus longtemps, mais surtout en meilleure santé ? Sommes-nous capables de porter cela ? Sommes-nous capables de nous retrouver ? – j’entendais mon collègue, je ne veux pas en faire un débat droite-gauche, parce que je trouve cela complètement stérile. On ne peut pas dire, dans la même phrase, que ce texte, on en a fait l’alpha et l’oméga, et qu’en même temps, il n’y a rien dedans.
Il faut tous que l’on prenne un peu de hauteur et de recul, et que l’on ait envie, tous, de faire avancer cette cause de la santé. J’ai entendu beaucoup de choses dites avec passion, et je voudrais voir derrière cette passion surtout l’envie de faire avancer les choses.
Docteur Jean-Michel LECERF
Merci. Je crois que si nous sommes si nombreux aujourd’hui, c’est qu’il y a une volonté de contribuer à ce débat et de faire progresser. Chacun doit s’écouter, s’entendre, parce qu’il y a des problématiques complexes d’organisation.
Robert VOLUT, président de la FITC[1]
Je suis le type de personne à qui vous voulez mettre une étoile rouge, enfin sur ses produits ! Non, pas vous, mais le législateur, enfin monsieur le professeur Hercberg, qui n’est pas encore législateur. C’est vraiment n’importe quoi. C’est la stigmatisation d’une catégorie de produits, et il y en a plein d’autres, qui n’a aucune raison d’être et qui ne traitera pas le problème. Le problème, je partage l’avis de beaucoup, c’est un problème d’éducation des enfants, des adolescents et des adultes. Et l’éducation, c’est une des missions importantes du politique, du gouvernement. Que l’on commence par le système éducatif. Que l’on apprenne aux enfants ce qu’est la bonne nutrition, la bonne santé, comment être en bonne santé, mais sans mettre des étiquettes rouges, vertes, jaunes sur les produits. Cela ne traitera rien.
Parlons d’EPODE[2]. À un moment donné, 200 communes participaient à ce projet. La commune de M. Bapt a fait partie des dix premières communes, donc des pionniers. À l’époque ce fut un outil qui agissait sur les populations à problèmes. Ce n’est pas la peine de prendre des presses de 12 000 tonnes pour écraser une mouche ! Ce qu’il faut, c’est traiter le problème des gens qui ont des problèmes ! Et encore, je ne suis pas médecin, vous l’avez compris, je suis charcutier. Se donner l’opportunité de les faire aller bien, qu’ils soient mieux dans leur tête et dans leur corps. C’est cela, l’objectif. Seulement mettons en place des outils, et il y en aura pour 250 milliards. Quelqu’un l’a dit tout à l’heure, le coût de la Sécurité sociale, c’est 250 milliards. On dépense 250 milliards. Alors, je pense que l’on pourrait peut-être les dépenser plus sur la prévention et sur l’éducation. Nettement plus, on a des progrès à faire.
[1] Fédération française des industriels traiteurs charcutiers.
[2] « Ensemble prévenons l’obésité des enfants », aujourd’hui renommé VIF (« Vivons en forme »).
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