La future loi de santé publique : l’opportunité d’impulser une nouvelle politique, pour la prévention santé ? Yves Bur
Palais-Bourbon – Salle Colbert – 28 novembre 2013
En tant que président de l’Alliance contre le tabac, je poursuis un combat que j’ai mené durant de longues années à l’Assemblée Nationale. Egalement Maire d’une commune dans la banlieue de Strasbourg, j’ai essayé de mettre en œuvre un certain nombre d’actions de santé publique de manière très concrète.
En introduction, le constat que je peux faire après 17 années passées au Parlement, est que, malheureusement, la santé publique reste le parent pauvre de notre système de santé axé essentiellement sur le curatif.
Il a fallu la ténacité du ministre de la Santé de l’époque, Jean-François Mattei, pour que l’on puisse débattre de la première Loi de santé publique en 2004. Il ne l’a pas achevée et c’est son successeur – Philippe Douste-Blazy – qui l’a reprise à son corps défendant, entre désinvolture et indifférence. Nous avons ensuite attendu la Loi de santé publique HPST, où finalement la santé publique elle-même, dans un ensemble très hétéroclite, a servi d’alibi et s’est réduite à quelques priorités sans grande envergure. Ils se sont limités à quelques mesures et autres interdictions qui n’ont d’ailleurs jamais été mises en application, ni respectées. Deux exemples parmi tant d’autres : l’interdiction de vendre des cigarettes ou de l’alcool aux mineurs ; l’interdiction des open-bars… Ces mesures, plébiscitées par les politiques, satisfaits d’avoir apporté leur pierre à l’édifice, sont restées lettre morte sur le terrain, l’appareil de l’Etat étant totalement indifférent, refusant de faire appliquer les interdictions votées par le parlement.
Il est très difficile de revenir sur une loi de santé publique, car les mesures envisagées heurtent de plain-pied l’ensemble des intérêts économiques. En effet, faire « bouger » la santé publique est difficile en France pour des raisons culturelles, mais aussi parce que les lobbies économiques sont très puissants. Le « politique » est par nature plus sensible à l’argument économique (chantage à l’emploi par exemple), qu’à la santé de ses électeurs.
La thématique de la santé publique, à défaut de se concrétiser, reste très présente dans la logorrhée politique. Le principe, est qu’il est populaire d’en parler, parce que c’est valorisant, mais quand vient le temps d’agir, les leaders politiques sont aux abonnés absents. Par conséquent, il y a matière à débattre en permanence. C’est malheureusement un constat lucide sur l’état de la santé publique en France.
J’attends donc avec beaucoup d’impatience, en tant qu’ancien parlementaire ayant participé concrètement à la discussion de la première loi de santé publique, qu’on la remette sur l’établi. Et il serait bon que la thématique tabac soit traitée à la hauteur des décès que provoque le tabagisme…
En ce qui concerne la lutte contre le tabagisme, l’absence de volonté politique entretient une hécatombe de 73 000 morts par an. C’est l’une des leçons que l’on peut tirer de l’action politique de la dernière décennie en matière de lutte contre les addictions : une succession de petites mesures ne fait pas une politique de santé publique efficace !
Nous avons augmenté le prix du tabac de près de 40 % entre 2002 et 2004 ; nous avons interdit, à mon initiative, de fumer dans les lieux à usage collectif. Puis sont survenues l’interdiction de vente aux mineurs, la mise en place des avertissements sanitaires graphiques, et ainsi de suite… De petites mesurettes, qui additionnées bout à bout n’ont pas permis, bien au contraire, de réduire le tabagisme. Cette situation doit nous interpeller sur la façon de mener une politique efficace.
L’interdiction de vente aux mineurs, qui n’est pas contrôlée, a pourtant été plébiscitée par les Français, y compris par les fumeurs eux-mêmes. Les politiques sont frileux et ont peur d’affronter les intérêts économiques. Sur ce thème, ils redoutent en effet davantage le courroux des débitants de tabac que l’avis des Français. Le politique doit considérer les véritables attentes des Français, et pas simplement les exigences de certains lobbies : les buralistes n’ont pas saisi qu’ils n’étaient pas prescripteurs de votes !
Depuis quelques mois – la mi-avril – je suis Président de l’Alliance contre le tabac. J’ai essayé de réorienter ou de clarifier certaines orientations portées par la société civile. Les associations de lutte contre le tabagisme sont malheureusement identifiées comme des associations qui ne prônent que des choses désagréables : augmenter les prix, interdire, renforcer… Mais j’essaie de faire passer un message positif, notamment dans le cadre du Plan cancer 3, et de la future loi de santé publique. Mais je suis inquiet : l’un de mes collègues, le Professeur Martinet, pneumologue à Nancy, craint qu’il n’y ait que trop peu de mesures dédiées à la lutte contre le tabagisme dans la future loi de santé publique. Je le rejoins sur ces craintes…
L’Alliance contre le tabac et ses membres recommandent un certain nombre de priorités pour véritablement lutter contre le tabagisme : prendre en charge l’accompagnement médical et pas simplement médicamenteux, du sevrage tabagique ; instaurer une politique de prix incitative à l’arrêt du tabac… Aujourd’hui, l’objectif de la fiscalité du tabac, comme pour tout gouvernement, sert à remplir les caisses de l’état et combler l’abyme de la sécurité sociale. C’est tout le dilemme : Bercy souhaite se garantir des rentrées fiscales indispensables pour son budget, et la santé des Français n’est qu’un prétexte…
Ensuite, il faut promouvoir et coordonner les axes de prévention aux niveaux local et national, et promouvoir la recherche. Je crois que dans ce domaine, nous avons accumulé beaucoup de retard, parce que nous ne connaissons pas suffisamment tous les phénomènes qui empêchent les gens de s’inscrire dans une démarche positive en termes de santé publique.
Il n’y a aucune raison que le tabagisme augmente en France et baisse de manière significative dans des pays comme la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada, et les Etats-Unis. Mais il est nécessaire de mettre en œuvre une politique, une approche globale et cohérente, et non pas uniquement sectorielle et segmentée afin de protéger nos enfants et nos jeunes. C’est la cible essentielle à préserver. Pourquoi ne pas faire rentrer dans les mœurs qu’il ne faut plus fumer en présence d’enfants ? Quels parents peuvent encore continuer à penser que l’on peut fumer impunément devant leurs enfants et ceux des autres ? D’abord en raison des dégâts causés par le tabagisme passif, et ensuite en raison du modèle que les adultes donnent.
Certaines recommandations pourraient-être déclinées par les élus locaux afin de sanctuariser certains lieux de la fumée de tabac : les aires de jeux, les abords des établissements scolaires, les plages…
Au regard de la lutte contre le tabagisme, pour faire changer les mentalités, certains principes doivent-être adoptés de la même façon que pour les messages sanitaires concernant la nutrition.
Parallèlement, une politique de prix dissuasive doit-être appliquée. Pour les jeunes, c’est certainement l’un des outils majeurs de dissuasion.
La promotion du paquet neutre standardisé serait un marqueur politique fort contre les actions de marketing des industriels : un paquet, sans couleurs, ni logo, qui deviendrait le vecteur unique des messages sanitaires de prévention, et non plus du marketing des marques des industriels. L’Australie l’a innové dès janvier 2013, et les premières études confirment un impact positif sur la dénormalisation de l’acte de fumer, notamment auprès des plus jeunes. Ces études devront être vérifiées dans le futur. Le paquet neutre standardisé, c’est l’arme atomique contre les fabricants de tabac et la promotion de leurs produits. Les industriels utilisent tous les leviers possibles contre cette mesure, avec des budgets illimités et seule la volonté politique des Etats en faveur de la santé de leurs citoyens peut aller à l’encontre des procédures judiciaires intentées par les fabricants…
Et il faut surtout, contrôler la règlementation, comme l’interdiction de vente aux mineurs et l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Plus de 60 % des buralistes vendent des paquets du tabac aux mineurs : il vrai qu’un enfant de douze ans, aujourd’hui, est tellement bien nourri qu’on peut le confondre aisément avec un adolescent de 18 ans… ! Du moins les buralistes les confondent-ils…
Par ailleurs, en France, il n’y a aucun contrôle de l’interdiction de fumer dans les lieux publics, qui Dieu merci, s’est imposée grâce au plébiscite des Français. Même s’il subsiste quelques conflits sur les terrasses, où les dispositions de la circulaire de septembre 2011 devrait s’appliquer, plus personne n’imaginerait aujourd’hui un retour possible de la cigarette dans les lieux à usage collectif.
Enfin, il faut renforcer le contrôle du tabac par tous les moyens. Interdire aux fabricants, aux industriels, qui ont des moyens considérables, toutes les possibilités de marketing qui leur sont encore accessibles. Aucun lien d’intérêt ne doit-être toléré entre sphère publique et industrie du tabac. Au printemps, le numéro trois des Douanes était invité par l’industrie du tabac pour convaincre les parlementaires de ne pas augmenter les prix du tabac. On se dit que quelque chose ne tourne pas rond dans l’Administration française, surtout quand le numéro 2 de l’administration des Douanes est invité à Roland Garros par la même industrie de tabac. Il est temps qu’il y ait non seulement de l’éthique du côté des politiques, parce que nous restons des cibles faciles, mais aussi dans la haute administration…
J’en viens maintenant à ce qui se passe dans ma commune. Lingolsheim est une ville de 17 000 habitants dans la banlieue de Strasbourg. Depuis 2006, nous avons engagé une lutte globale pour promouvoir le bien manger – nutrition saine – et bouger. Cette politique de sensibilisation vise à montrer les bénéfices d’une alimentation équilibrée et de l’activité physique. Dès la maternelle, des fruits sont distribués pour le goûter, et toute une sensibilisation aux bonnes pratiques alimentaires est diffusée auprès d’un vaste public : les jeunes, les enfants, les séniors, les publics en difficulté, grâce à des partenariats avec des associations, la faculté du sport de Strasbourg, le STAPS… Nous avons mis au point tout récemment un livre de cuisine, qui est aussi accessible aux analphabètes, avec une association de personnes handicapées, dans lequel figurent des recettes simples. Cet ouvrage offre la possibilité, dans notre épicerie sociale, de toucher et sensibiliser les publics en difficulté. Autour de l’épicerie sociale, nous avons ouvert des jardins d’épisodes où des habitants de la commune peuvent réapprendre à cultiver, à récolter et à manger ce qu’ils produisent. Il y a une véritable volonté de développer une réelle cohérence entre les actions. C’est un exemple concret parmi d’autre de ce qui peut se faire au niveau local. Cela crée du lien social.
Parallèlement, un parcours de santé a été modernisé avec l’université. Des ateliers de fitness ont ouvert ; quatre ou cinq devraient-être disponibles dans la commune, accessibles facilement aux jeunes comme aux séniors, qui semblent apprécier particulièrement ces activités. Un parcours chronométré a même été installé dans le cadre des parcours santé au niveau de la ville, sur le modèle de ce que présente et recommande l’INPES (chronomètrage pour aller d’un lieu à l’autre…). A partir de ces outils pédagogiques, les professionnels de santé auront des outils pour prescrire des recommandations sportives. Nous nous inscrivons ainsi dans une démarche très pragmatique offerte à tous les niveaux de public et que la population peut comprendre, accepter, adopter.
Je voudrais rappeler qu’à l’occasion de la révision de la prochaine loi de santé publique, les communes sont et seront des acteurs incontournables. Elles ont en effet en charge les enfants, dès le plus jeune âge, accompagnent les seniors, les publics en difficulté et jouent sur la proximité. Le champ d’actions est infini, si l’on donne les moyens adéquats aux communes.
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